INTRODUCTION
La fatigue constitue un des facteurs majeurs de la performance dans les disciplines sportives. Celle-ci se distingue encore plus lors de pratiques qui durent dans le temps tel que le demi-fond, le cyclisme ou les sports collectifs.
Depuis plus d’un demi-siècle, de nombreux scientifiques s’intéressent à ce sujet car en compétition comme à l’entrainement, la fatigue peut être responsable d’un manque de motivation, d’un état d’anxiété, de troubles de l’humeur ou de troubles attentionnels pouvant engendrer de mauvaises performances. Le syndrome de surentrainement très connu des sportifs se manifeste notamment par une fatigue générale rendant le corps très faible. Pour être performant en compétition, l’entraineur doit mettre en place des entrainements, des situations mettant en difficulté ses athlètes afin d’induire des adaptations physiques et mentales. La fatigue est donc un des facteurs importants de l’entrainement. En tant qu’entraîneurs et préparateurs physiques, l’objectif est d’amener les athlètes à des conditions de forme optimale pour améliorer leurs performances dans leurs activités. Dès lors, le concept de fatigue devient un thème d’importance majeure dans l’entraînement : que ce soit pour les activités qui nécessitent des pics de forme mais également pour les sports qui amènent des compétitions régulières (une à plusieurs fois par semaine). Nous verrons d’où vient cette fatigue et comment agit-elle sur le corps et les performances.
CADRE THEORIQUE
- La fatigue neuromusculaire ?
La fatigue est un phénomène complexe qui a été le sujet de nombreuses études scientifiques depuis de nombreuses années. Dans le milieu sportif, le mot « fatigue » désigne généralement une sensation et/ou un état d’épuisement ou de lassitude suite à une activité physique ou mentale prolongée. Il n’existerait pas une seule et même définition de la fatigue, ce terme serait un concept sous lequel se cache différents caractères énumérés par les chercheurs. En effet, Bigland-Ritchie et Woods (1984) ont proposé une définition couramment utilisée en émettant l’hypothèse que la fatigue serait une « réduction de la capacité à générer une force ou un couple de force ». Pour, Kalsbeek et coll (2012), la fatigue serait le résultat de contraintes physiologiques et/ou psychologiques aboutissant à une diminution des performances physiques ou cognitives. Selon Lepers et coll (2000), cette diminution de performance serait associée à différents types de fatigue neuromusculaire variant en fonction de la nature des contractions musculaires, des groupes testés, de l’intensité et de la durée de l’effort. Dans leur étude, Boyas et Guevel (2011) ont défini le concept de fatigue neuromusculaire en distinguant les facteurs centraux et périphériques à l’origine de ce phénomène.
- La fatigue centrale :
Derrière le terme de fatigue centrale se cache plusieurs définitions émises par différents chercheurs. En effet, pour Gandevia (2001), la fatigue centrale serait une altération de la commande nerveuse descendante survenant à la suite de contractions volontaires à destination des motoneurones α (Newham & coll, 1983). Une modification de la concentration des neurotransmetteurs (Guézennec, 2000), une inhibition des aires motrices en rapport avec des signaux provenant du muscle (Gandevia, 2001) ou encore une altération de la perception liée au sens de l’effort (Enoka et Stuart, 1992). La fatigue centrale est prépondérante lors d’exercices de faible intensité et de longue durée. Elle serait influencée par l’activité des neurotransmetteurs cérébraux et des afférences musculaires (Boyas, Guevel, 2011).
- La fatigue périphérique :
La fatigue périphérique correspondrait à une réduction de la capacité de force maximale du muscle ciblé et conduirait à une réduction aigüe des performances au cours de l’exercice (VØllestad, 1997). Pour Gandevia (2001) elle se traduirait par des changements au niveau ou en aval de la jonction neuromusculaire.
De plus, selon Ingalls et coll (2014) elle correspondrait à une défaillance de la propagation nerveuse au niveau de la jonction neuromusculaire, une accumulation d’ions H+ (McLaren & coll, 1989) et à une augmentation de l’ADP (Kentish, 1986).
En résumer :
La notion de fatigue correspondrait à la diminution de la capacité de production de force du groupe musculaire considéré. La différenciation des deux types de fatigue se ferait au niveau de la jonction neuromusculaire. La fatigue centrale toucherait les sites localisés en amont de cette jonction neuromusculaire et dépendrait de la commande motrice descendante et de l’excitabilité des motoneurones tandis que la fatigue périphérique se localiserait en aval de la jonction neuromusculaire (Gandevia 2001). En effet, la réduction de la propagation du potentiel d’action (réduction de l’activité des pompes sodium et potassium : Green, 1997) conduisant à une diminution de l’amplitude de l’onde M (Fowles & al, 2002) pourrait altérer l’activité musculaire.
Sur le terrain, cela se traduirait principalement par une diminution de la pertinence dans la prise de décision (Royal, 2005), des capacités techniques (Rampinini, 2009), de la force maximale volontaire jusqu’à épuisement : l’incapacité à maintenir la puissance requise (Bigland-Ritchie, 1983) ainsi que de la qualité de proprioception et du contrôle postural (Gandevia, 2001).
- La fatigue musculaire en cyclisme :
La fatigue musculaire en cyclisme touche les sites situés en aval de la jonction neuromusculaire des muscles impliqués. Cela inclut les altérations de la propagation du potentiel d’action le long du sarcolemme, du couplage excitation – contraction, des protéines contractiles ou les concentrations en métabolites (Gandevia, 2001). Lepers, Millet et Maffiuletti (2004) ont proposé une définition de cette fatigue en adéquation avec la pratique : la performance dépendrait de la capacité à maintenir un niveau de puissance le plus élevé possible durant la totalité de l’épreuve, une réduction de la force maximale que le muscle peut produire ou comme l’inaptitude à poursuivre plus longtemps un effort à une intensité donnée (G.Sarre 2004). Cette caractéristique est spécifique des efforts individuels que l’on peut retrouver sur la partie cyclisme lors de triathlon distance olympique, longue distance ou lors de course en ligne. Dans cette configuration, la performance au cours de ce type d’exercices dépendrait de la fonction neuromusculaire et de ses altérations qui apparaissent due à la fatigue occasionnée. Cette fatigue liée à l’effort de longue durée (supérieure à 1H) serait également liée à la déplétion en glycogène qui serait un des facteurs limitant (Burke, hawley. 1999).
- La fatigue neuromusculaire lors d’un exercice cycliste d’intensité sous maximale:
Les différentes études liées à la fatigue neuromusculaire en cyclisme à intensité et durée variable sont convergentes. Le degré de fatigue musculaire peut être objectivé par l’observation des variations de réduction de force maximale volontaire malgré la complexité du système neuromusculaire. Lors d’un exercice cycliste de très longue durée (5 heures réalisées à 55 % de la puissance maximale aérobie), Lepers et al (2002) ont montré des altérations dans les propriétés neuromusculaires notamment la réduction de la capacité à générer une force volontaire maximale. Les propriétés contractiles du muscle quadriceps (processus de couplage excitation – contraction) ont été modifiées de manière significative dès la première heure de l’exercice (diminution de 9 % de la force maximale volontaire des muscles extenseurs du genou). En effet, l’altération des propriétés contractiles du quadriceps pourrait expliquer en partie le déclin de la force volontaire maximale observée tout au long des 5 heures atteignant 18 % en fin d’exercice. Concernant la cinétique d’apparition des mécanismes centraux de la fatigue, les résultats de cette étude tendent à montrer que l’excitabilité et l’activation centrale sont modifiées de façon plus importante en fin d’exercice.
L’étude de Millet et coll (2003) va dans le même sens. Lors d’une épreuve cycliste de durée plus courte (280 minutes), les auteurs ont montré une chute de la force maximale volontaire (9%). Ces différentes peuvent s’expliquer par le fait que cette épreuve a été réalisée de manière discontinu et en situation de course cycliste.
Dans une autre étude en course à pied, les résultats sont identiques : Lepers et coll (2000) ont montré qu’à la fin d’un exercice de course à pied d’une durée de 2H réalisé à 75 % de la vitesse maximale aérobie, la force maximale volontaire du muscle quadriceps avait diminuée de 19 %. Le développement de la fatigue neuromusculaire constitue donc un obstacle à la performance dans les sports d’endurance.
L’étude de Bentley et coll (2000) arrive aux mêmes conclusions. Après un exercice de 30 min réalisé à 80 % du VO2max, les mesures effectuées ont montré une réduction de la force maximale volontaire et une augmentation du déficit d’activation (différence entre FMV et stimulation électrique percutanée) même 6h après la fin de l’exercice.
De même, Fritzsche et al. (2000) ont montré que la puissance maximale développée sur 4 secondes diminuait de 15 % au cours d’un effort d’environ 2h, réalisé à 62 % de VO2max.
L’apparition de la fatigue au cours de l’effort en cyclisme serait graduelle et limiterait de plus en plus la performance. La capacité à produire une puissance élevée lors d’un effort réalisé à intensité proche de la puissance maximale aérobie serait limitée par la réduction de la capacité maximale de production de force des muscles impliqués dans le mouvement de pédalage. Au cours d’un exercice d’une heure à allure libre incluant 6 efforts maximaux d’une durée d’une minute, Kay et coll. (2001) ont montrés que la fatigue impactait la performance. Ces auteurs ont mis en évidence une réduction progressive de la puissance maximale qui atteignait 13 % à la 50ème minute de l’exercice.
De plus, St Clair Gibson et coll (2001) ont observé une diminution de l’activité EMG des muscles droit antérieur et vaste latéral diminuant également la production de puissance maximale. Les résultats sont similaires lors d’un exercice de 30 minutes réalisé à une intensité proche du seuil lactique. En effet, Bentley et coll (1998) ont montré une diminution de la production de force des muscles extenseurs du genou ainsi qu’une diminution de l’activité EMG. La fatigue neuromusculaire serait également impacter par une diminution des facteurs métaboliques à savoir une déplétion glycogénique et phosphocréatine. Résultats mis en avant par Sahlin et Seger (1995) lors d’un exercice réalisé à 75 % de la VO2 max (durée moyenne de 85 minutes) où les auteurs ont également montré une diminution significative de la force maximale volontaire du muscle quadriceps.
- La fatigue neuromusculaire en cyclisme est-elle influencée par la fréquence de pédalage ?
Dans cette dernière partie, nous chercherons à déterminer si la fréquence de pédalage à un effet sur la fatigue musculaire selon différentes modalités d’effort. En d’autres termes, est ce qu’une fréquence de pédalage donnée permettrait de réduire l’altération des propriétés musculaires sur les muscles impliqués au pédalage.
Selon Monod et Flandrois (1997), la fréquence de pédalage optimale enregistrée en laboratoire se situerait entre 40 ou 50 tours par minutes. Pourtant, les fréquences de pédalage adoptées par des coureurs professionnels sont sensiblement plus importantes et oscillent entre 90 et 110 rpm sur le plat. Il existe donc un désaccord entre la recherche en laboratoire et la pratique. Dans leur étude qui consistait à effectuer cinq tests de 20 à 30 minutes à environ 85% du VO2max à différentes fréquences de pédalages, Coast et coll (1986) ont montré que le rendement énergétique et l’efficacité étaient meilleurs lorsque les coureurs utilisaient des fréquences de pédalage allant de 60 à 80 rpm. L'expérience indique que pour les cyclistes qui utilisent des puissances élevées, le choix de la fréquence de pédalage est important et il existerait une fréquence optimale qui augmente avec la puissance produite (Coast et coll 1985). De plus, la fréquence de pédalage optimale semble augmenter avec l’habileté du coureur.
Les résultats de Beelen et Sargeant (1993) vont dans le même sens. Lors d’un exercice de pédalage de 6 minutes effectué à 92 % de la VO2max à 2 cadences différentes (60 rpm et 120 rpm), les auteurs ont montré que l’exercice réalisé à 120 rpm altérait significativement l’aptitude des sujets à fournir une puissance maximale. A l’inverse, à 60 rpm, l’exercice n’induisait pas de diminution significative.
L’influence de la cadence de pédalage sur les propriétés musculaires au cours d’un exercice cycliste prolongé a été analysée par Lepers et coll (2001). En effet, les auteurs ont montré qu’à la suite d’un exercice cycliste de 30 minutes réalisé à 80 % de PMA à 3 cadences différentes (cadence de pédalage libre, cadence libre -20%, cadence libre +20%), la production de force maximale du muscle quadriceps diminuait significativement à la fin de l’exercice mais qu’il n’y avait pas de différence significative entre les cadences testées. Cependant, les cadences élevées (CLC + 20%) auraient tendance à générer plutôt une fatigue périphérique et donc que la réduction de la force maximale serait plutôt liée à ses mécanismes ; alors que la fatigue générée par les cadences faibles serait plutôt de nature centrale.
La fréquence de pédalage optimale serait donc multifactorielle. Le choix d’une cadence de pédalage résulte d’un savant compromis entre une vitesse de rotation suffisamment importante pour permettre un recrutement préférentiel des fibres lentes mais suffisamment faible pour conserver un pattern mécanique avantageux (Goetghebuer 2003).
Du point de vue de la dépense énergétique, il semblerait que les coureurs ne choisissent pas des cadences de pédalage économiques. Grappe (2005) propose 6 variables susceptibles d’influencer la fréquence de pédalage optimale :
- L’influence de la puissance développée : Il est logique d’augmenter la fréquence si la puissance augmente de façon à diminuer la force à développer. Cette relation puissance / fréquence de pédalage optimale explique en partie le décalage entre la fréquence naturellement choisie sur le terrain (élevée, vers 90-110 rpm) et la fréquence la plus rentable (faible, vers 60 rpm).
- L’influence de la durée de l’exercice : Brisswalter et al. (2000) ont observé une augmentation de la fréquence de pédalage optimale de 70 à 86 rpm à la suite d’un exercice de pédalage d’une durée de 30 min. Pas d’explication pour le moment.
- L’influence de la condition terrain : Il existe des différences de fréquence entre un pédalage en montée (plutôt sur des fréquences assez élevée pour diminuer la fatigue musculaire et améliorer la récupération musculaire) ou sur le plat.
- L’influence du niveau d’entrainement des cyclistes : Les cyclistes entrainés auront une meilleure technique de pédalage à fréquence élevée et une fréquence de pédalage optimale supérieure à celle d’un cycliste non spécialisé (à puissance comparable).
- Le coût énergétique : Le coût énergétique est le facteur principal qui détermine la fréquence de pédalage dans les conditions de terrain (Belli et Hintzy, 2002).
- L’influence de la perception subjective de l’effort : Les fréquences de pédalage ressenties les moins pénibles par les cyclistes sont nettement supérieures à celles métaboliquement optimales.
Pour G.Sarre (2004), l’utilisation de cadence de pédalage faible ou élevée présente des avantages et des inconvénients respectifs:
A cadence faible :
- Le pattern mécanique est plus efficace (moins d’interférences entre les muscles synergistes)
- Consommation d’oxygène plus faible à puissance constante, rendement énergétique plus élevée
- Réduction de la fatigue neuromusculaire des muscles extenseurs et fléchisseurs du genou au cours de l’exercice prolongé
A cadence élevée :
- Favorise le recrutement des fibres lentes (coût énergétique réduit et plus de résistance à la fatigue lors d’exercice prolongé) à condition de rester dans les limites des cadences couramment par les coureurs cyclistes.
- Réduction des tensions musculaires au sein des muscles sollicités (Amélioration des échanges sanguins).
- Condition plus favorable d’oxygénation des fibres lentes.
Conséquences pratiques :
- Exercices réalisés entre intensité légère et seuil anaérobie :
Il s'agit ici d’optimiser la dépense énergétique occasionnée. Ce type d’exercice correspond à 80 % des efforts réalisés lors d’une course sur route et 95 % de l’effort d’un contre la montre.
L’objectif sera de dépenser le moins d’énergie possible pour réaliser pour réaliser l’exercice et optimiser son coût énergétique.
Sur ce type d’effort, la fréquence optimale oscillerait entre 70 et 80 rpm
- Exercices réalisés à intensité proche de la PMA :
Dans ces conditions, c’est la fatigue qui conditionne la réalisation et l’arrêt de l’exercice. La contrainte à minimiser est la fatigue périphérique, c’est à dire au niveau des muscles qui travaillent (tension musculaire, concentration de lactates, fatigue neuromusculaire).
Dans cette perspective, pour diminuer cette fatigue, l’idéal est d’augmenter la fréquence de pédalage à des niveaux supérieurs à ceux utilisés lors de l’effort sous-critique, c’est à dire à des niveaux supérieurs à 100 rpm. Cela permet de diminuer au maximum les très fortes tensions musculaires, la fatigue de type neuromusculaire et l’accumulation de lactates.
- Exercices réalisés à intensité maximale (accélération, sprint)
L’objectif sera de développer le maximum de puissance dans un minimum de temps.
Les puissances mécaniques les plus élevées sont souvent obtenues pour des fréquences très élevées, supérieures à 130 rpm.
Notons que plus les cyclistes ont un pourcentage de fibres rapides élevé, et plus leur fréquence de pédalage est élevée à la puissance maximale. A l’inverse, les cyclistes à fort pourcentage de fibres lentes ont de plus faibles cadences de pédalage à la puissance maximale.
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