La race across France est une épreuve physique et mentale qui est pour moi mythique : Traverser la France sur un vélo en autonomie, découvrir de nouvelles ressources, faire tomber les barrières, franchir les limites, aller chercher l’inconfort pour se surpasser.
En quelques chiffres, la RAF 2500 c’est :
- 603 villes
- 8 régions
- 23 départements
- 6 bases de vie
- 1300 cyclistes
- 25 nationalités
- 1 arrivée commune : Mandelieu
Le parcours est simple et effrayant :
- Lille – Lizy sur Ourcq : 250km sur une route sans relief
- Lizy – Gueugnon : 370km – 3000m D+ avec la traversée du massif central et l’ascension du Pas de Peyrol
- Gueugnon – Anglet : 815km – 9000m D+ la diagonale et le dernier échauffement avant les Pyrénées.
- Anglet – Bagnère de Bigorre : 280km – 6500m D+ avec l’ascension de Ithurrotxe, Marie Blanque, Spandelle et le Tourmalet.
- Bagnère– Pézenas : 347km – 3700m D+
- Pézenas – Sault : 257km – 3700m D+ avec le Ventoux
- Sault – Mandelieu : 267km – 4200m D+ et l’ascension au-dessus des gorges du Verdon
Chapitre 1 : « Si j’avais 6 heures pour abattre un arbre je passerai les 4 premières heures à affuter ma hache »
La préparation d’avant course est un moment crucial : C’est le point de départ de toute aventure, souvent gage de réussite. J'ai tout mon équipement devant moi, sur le lit, mais la question est de savoir quelles options prendre. Mon cœur balance entre des peurs et une envie de prendre des risques. Peur du froid et prendre un sous maillot en plus, ou accepter qu’à un certain moment je ressente beaucoup le froid. Il faut aussi pouvoir se projeter un peu plus loin dans la course et imaginer de quoi je pourrais avoir besoin, comme découper un morceau de chambre à air et pouvoir réparer un pneu déchiré par un silex dans la descente d’un col à 2h du matin. La nutrition est aussi primordiale : Partir les poches pleines, c’est bien, encore faut-il savoir comment les remplir : Salé ou sucré. Après 15h de course mes envies sont généralement différentes que lors des préparatifs, moment où mon estomac est encore bien réglé pour manger 3 fois par jour.
Sur les 2580 km de la raf, nous avons le droit de laisser 2 sacs au départ qui seront envoyés à Anglet et Pézenas. Mes sacs étaient composés d’une tenue de rechange, des barres et gels énergétiques, d’une batterie externe, de quelques outils de réparations (chambre à air notamment) et d’une boite de conserve de ravioli. Au départ de la course, je pars avec des bonbons, gels, barres, oléagineux et babybel. Je trouverai le reste lors de quelques arrêts boulangerie sur ma route.
Chapitre 2 : Plus l’enjeu est grand et plus il faut voir petit.
Le départ est donné, il est 21h54. J’ai l’impression d’avoir un mur virtuel devant moi. Je suis seul avec mon vélo sur les routes du Nord en direction de Mandelieu. Sauf que le trajet n’est pas direct, 4 jours plus tard je serai dans les Pyrénées. Dans ces moment-là il est interdit de penser à l’arrivée car beaucoup trop loin et mentalement très difficile et inutile. Mon premier objectif est clair : Passer le premier point de chrono km125 à Cappy et ensuite sortir de la nuit pour arriver à la première base de vie de Lizy sur Ourcq. Le départ est super rapide, nous avons le vent de dos et c’est assez grisant pour tout le monde. Nous avons tous envie de profiter de ces
bonnes conditions si bien que je ne me mets pas dans ma bulle tout de suite. Je suis dans l’euphorie du départ et j’ai envie de rattraper ceux qui sont devant moi. Je ne prends pas le temps de m’arrêter remplir mes bidons ni même de faire une pause technique. La première nuit passa très bien, j’arriverai à la première base de vie au petit matin avec 250km, 30km/h de moyenne et aucune pause.
3. Chapitre 3 : Si tu ne peux pas agir sur unélément, inutile de t’en inquiéter.
La première journée est marquée par une météo qui se dégrade. Après un arrêt de 15min à la base de vie pour recharger mes bidons et manger 4 crêpes, je repars rapidement car je sais que la pluie arrive par vague et j’ai envie d’en prendre le moins possible sur le dos. Cette journée sera marquée par 2 arrêts à des boulangeries pour me ravitailler en eau, manger en quantité et remplir mes poches avec des sandwichs. La pluie tombe un peu, parfois beaucoup, je suis mouillé par la pluie et par les projections d’eau venant de la route. Dans ma tête le débat est simple : Tout le monde est sous l’eau et je ne peux pas agir sur la météo donc inutile de mettre de l’énergie dans cette direction. Je dirige plutôt mon énergie sur la gestion de mon alimentation car mon corps brûle beaucoup de calorie surtout sous la pluie. Je m’arrêterai vers 20h faire une sieste de 10 min sous un préau. Ma tête posée contre un mur, glisse, en 10min je me réveillerai 5 fois pour me rendormir 5 fois mais je me sens plus reposé.
J’arrive à la base de vie de Gueugnon vers 23h30, déjà 620 km de parcouru. Je mange, une douche et je file dormir 3h30.
Résumé : 622km – 25h11 – 23e place
4. Chapitre 4 : Commence à apprécier ce que tu détestes le plus, n’attends rien, que ce qui doit arriver arrive et à partir de ce moment-là, la bataille sera gagnée.
Je repars à 4h le matin, plutôt frais, agréablement surpris et content. Mon prochain objectif est d’arriver dans le massif central que je ne connais pas, j’ai hâte. Je m’arrête 10 min faire une sieste vers 6h du matin car mes yeux se ferment tout seuls, je ne ferai aucune sieste pour le restant de la journée. L’approche jusqu’à Clermont est longue, nous avons un vent défavorable assez usant. Je m’énerve parfois car j’ai l’impression de ne pas avancer, j’ai un discours interne négatif. Je perds de l’énergie pour des choses futiles. Je sais qu’il faut que je retrouve du plaisir à ce moment-là, mon corps tient bon malgré 3h30 de sommeil en 48h. Je mets de la musique, j'accepte ce passage compliqué et relis certains de mes mantras. Ca ira beaucoup mieux quelques kilomètres plus loin lorsque je serai au pied du massif central avec les poches pleines suite à un arrêt salvateur à la boulangerie.
A ce moment-là je mets en place une routine très simple : J’enfile ma gore tex, mes jambières et un tour de cou, j’ai déjà vécu ce genre de situation et j’ai confiance en mon matériel, inutile de perdre de l’énergie à trop regarder la météo et espérer qu’il fasse meilleur. Toute la traversée du massif se fera dans ces conditions, avec parfois quelques courtes accalmies. L’ascension du puy Mary marque la dernière étape du massif central, là-haut il fait froid et il pleut, je mets presque toutes mes couches de vêtements car j’entame une longue descente en direction d’Aurillac où j’ai choisi de m’arrêter pour la nuit. Il est 22h je prends une dernière grosse averse de 30min, je suis fatigué je ne vois presque rien avec la pluie, les voitures m’éblouissent, j’ai du mal à finir dans ces conditions car en plus de la pluie j’ai une mauvaise visibilité et je dois redoubler de vigilance.
J’arrive à Aurillac vers 22h30, je mange rapidement, je me douche et je file dormir 3h30. Au réveil, il faut remettre mes vêtements humides et partir, pas super agréable…
Résumé : 340km – 16h30 – 12e place (total965km – 48h36)
5. Chapitre 5 : Ce qui compte ce n’est pas la distance, mais ce qu’il y a à découvrir en face de moi.
Je repars d’Aurillac vers 3h30. Mes batteries de frontale n’ont pas aimé l’humidité, elles sont vides. J’attends le levé du jour avec impatience car je n’ai que la lampe sur mon vélo pour m’éclairer donc je ne vois que ce qu’il y a devant mon vélo, je dois rester vigilant pour ne pas
faire de hors parcours. A ce moment-là il me reste 450km jusqu’à Anglet, un gros morceau, la diagonale du vide : Sans réelle difficulté et avec assez peu de ville pour se ravitailler. Il fait entre 25 et 30 degrés et comparé aux conditions de la veille c’est le jour et la nuit. Je ne trouve pas facilement de l’eau ni des commerces ouverts car nous sommes dimanche.
Mon premier arrêt s’effectuera à Figeac pour manger une énorme part de flan et le second à Cahors pour manger et faire des provisions pour la journée.
Il est alors midi, je vais faire une erreur qui me coûtera cher, celle de ne pas prendre assez de temps pour réfléchir à ce qu’il me faut pour le restant de la journée pensant que je retrouverai surement une boulangerie plus tard dans la journée. Je repars donc avec un repas frais dans un sac, quelques bonbons et gâteaux. La journée se passe bien malgré la chaleur qui tape fort sur le casque, c’est encore long jusqu’à Anglet mais je m’occupe avec de la musique et des podcasts. Vers 15h j’ai un coup de barre, la route est droite et monotone. Je décide de m’allonger 10min pour me refaire la santé et casser la monotonie. Je m’allonge dans l’herbe dans le premier chemin que je vois. 5min plus tard, un couple d’étranger en balade viennent à ma recontre et me disent : « All right? », je leur réponds : « yeah for sure » et je repars aussitôt. Arrive la fin de journée je décide de manger le sandwich acheté à Cahors sauf qu’il ne me semble plus bon avec la chaleur, je sens que je vais le payer. Il est 22h je n’avance plus très vite et je manque de carburant, je décide d’abord de faire un bivouac car il n’y a pas vraiment d’hôtel ou air bnb sur le parcours. Je trouve néanmoins une auberge à Mugron à la dernière minute dans laquelle je vais pouvoir faire un petit repas puis j’irai dormir 3h30. J’ai mangé mais je sens que ça n’a pas été assez pour cette journée. Au réveil je marche les jambes tendues, j’ai mal partout, mon corps s’est mal régénéré pendant la nuit, le ventre trop vide.
Résumé : 382km – 16h (total 1347km – 56h)
6. Chapitre 6 : La force de notre volonté est supérieure à notre force musculaire.
J’ai les jambes en bois, défoncées de la veille car j’ai manqué de calories et je crois qu’elles n’ont pas apprécié. Je mange des sardines (ma ration que j’avais décidé d’ouvrir dans un moment où ça va mal) sur une marche d’escalier, il est 4h du matin.
Je repars en roulant tranquillement la première heure. A 6h je n’ai plus d’énergie, je m’arrête pour dormir à l’entrée d’une société d’assurance 10 min, qui se transforme en 30min, je suis KO. Je suis en mode survie jusqu’à Peyrehorade où je tombe sur une boulangerie, je dois prendre environ 1000 calories en 15min et ça va beaucoup mieux ! J’arriverai à la base de vie d’Anglet à 10h, l’occasion pour enfin changer de tenue, remplir mes poches et manger.
1438km – 83h36 – 21e
Je repars dans les Pyrénées, ça y est j’y suis enfin ! Une autre course commence pour moi, je suis dans le Sud et dans une région de la France que je ne connais pas, mentalement ça va beaucoup mieux. Les pentes du pays basque sont brutales, on arrive parfois dans des murs à 20% que l’on n’a pas vu venir. Ça monte déjà fort mais les hostilités n’ont toujours pas commencé, je m’arrête manger à Saint Jean Pied de P vers 14h avant d’attaquer le col de Ithurrotxe (col d’Ahusquy) : 7km entre 8 et 10 %. Il fait super chaud et lourd, j’enlève mon sous maillot pour avoir presque rien sur le dos et réguler au mieux la chaleur, j’enlèverai aussi mon casque pour profiter de l’air. J’arrive au-dessus du col avec mes 2 bidons presque vides alors qu’ils étaient plein en bas. L’endroit est sauvage et la nature a encore ses droits, le bétail est en liberté, il y a peu d’arbre et tout est vert, c’est super agréable !
Je continue ma route en direction du col de Marie Blanque, les routes sont étroites et il n’y a pas de plat.
Le col de Marie Blanque est très roulant sur les ¾ du col puis ensuite la route se cabre et dépasse les 10 % sur les 4 derniers km. C’est long, je passe très souvent en danseuse pour soulager mon dos et d’autres articulations. Je n’ai pas envie de passer 1 heure à faire 4km alors je mets beaucoup d’énergie quitte à y laisser des plumes. Au-dessus du col c’est magique, chevaux, vaches, moutons en liberté dans un cadre incroyable. Il faut rester vigilant avec tout ce petit monde sur les routes. Il est bientôt 21h et je décide de dormir à Louvie Jouzon car il n’y a pas grand-chose comme logement après le col de Spandelles. J’ai eu quelques signaux d’alertes sur mes tendons d’Achilles pendant cette première partie dans les Pyrénées, je n’ai pas l’habitude de m’arrêter aussi tôt. J’hésite parfois à continuer dans la nuit au risque de ne plus rien avoir après et potentiellement de passer une nuit dans un abri bus. Je sais que le lendemain la journée sera longue alors je repartirai tôt le matin. Une assiette de produits locaux servie par les hôtes, une douche et je file dormir 3h. Le réveil sonnera à 2h.
Résumé : 250km – 13h (total 1582km – 95h)
7. Chapitre 7 : « N’est jamais puissant celui qui n’a savouré que des délices, devient fort celui qui lutte ».
Cette phrase d’un des plus grands explorateurs du monde, Mike Horn, résonnera dans ma tête à la fin de cette 5e journée. Je repars vers 2h30 du matin sans prendre de petit déjeuner, de toute façon je n’ai rien mis à part 1 boîte de sardine et quelques barres énergétiques. Je repars direct dans une petite montée de quelques kilomètres, il ne fait pas froid et j’ai bien dormi, la journée démarre très bien. J’arrive au pied du col de Spandelles en ayant au préalable mangé la plupart de mes munitions. Je suis seul dans le col en plein milieu de la nuit, il n’y a pas un bruit. C’est plutôt agréable, j’éteins parfois complètement mes lampes pour profiter de la lumière de la lune. J’arrive au-dessus, après une ascension d’environ 1h15. Il est 6h ce matin et le soleil se lève, ce sera le plus beau levé de soleil de cette aventure.
J’arrive au petit matin à Argelès Gazost après une descente rapide où j’ai senti la fatigue me rattraper, je redouble de concentration pour rester vigilant car il est facile de prendre plus de 70km/h. A Argelès, mes yeux se ferment tout seuls, je décide de dormir 10 min dans un abri bus. C’est le chien d’une passante qui viendra me réveiller quelques minutes après m’être endormi. J’ai faim, je braque la première boulangerie que je vois et je prends le temps de m’assoir au chaud pour manger. Je suis habillé avec mes jambières et ma veste de pluie alors que je croise des cyclistes en cuissard et maillot court : Je n’ai pas chaud avec la fatigue et la faim.
Au pied du col du Tourmalet, à Luz Saint Sauveur, je suis super content, je sais qu’après ce grand col que je n’ai jamais gravi je sortirai des Pyrénées qui m’ont mieux accueilli que le massif central. Je fais le plein de provision dans un supermarché et je bois 2 canettes de Redbull, 4 compotes et 4 Balisto à 8h du matin. Je pense qu’une dame se souvient encore de mon petit dej non conventionnel. 2h plus tard, je suis a plus de 2000m d’altitude : Pendant l’ascension j’ai croisé des dizaines et des dizaines de cyclistes c’était incroyable de voir autant de monde d’un coup alors que quelques heures plus tôt j’étais seul dans un col de 10 bornes.
J’arrive à la base de vie de Bagnères de Bigorre vers 11h où je mange un bon plat de pâtes. J’aperçois le vélo de Steven Le Hyaric dans le magasin « chez octave », un boss dans l’ultra qui a déjà gagné la RAF en 2022, ça boost.
En fin de journée, vers 20h, alors que je suis sur des petites routes assez tranquilles j'entends un bruit bizarre venant d'un champ. Ce bruit m'interpelle, je me demande pendant plusieurs minutes ce que ça peut bien être. Puis j'arrive sur les lieux d'un accident, un gars est dans le fossé, inconscient. Son scooter est 5m plus loin. Je m'apperçois qu'il a raté son virage et qu'il n'avait pas de casque... J'appelle les secours sans tarder en essayant en même temps de le ramener à la conscience en lui parlant. Un passant arrive et m'aide à le prendre en charge, j'explique du mieux que je peux l'endroit où je me trouve mais pendant ce temps là le gars remonte sur son scooter et repart. Je n'ai pas vu la scène étant concentré sur mon téléphone pour me localiser. Je décide donc de reprendre ma route après 20/25min d'arrêt. 10km plus loin je reçois un appel, c'est la gendarmerie. Je resterais au téléphone avec eux 5min pour leur expliquer la situation car ils sont sur les lieux de l'accident et bien evidement il n'y a plus personne. 10min plus tard ils me rapellent encore une fois pour me demander des informations sur la personne (âge, état de santé, couleur du scooter etc). La suite je ne la connais pas, j'ai fait mon devoir et je me refocalise sur mes objectifs.
Dans la soirée je commence à avoir mal aux chevilles et je ressens une perte de mobilité, je pédale presque carré. Je décide de m’arrêter à Mirepoix pour la nuit car je commence à être vraiment cuit et Carcassonne est encore à 50km. J’arrive dans le gîte que m’a réservé Fred, je suis accueilli avec des pizzas, un lit de 180x200 et le petit dej pour le lendemain, le top ! J’enlève mes chaussettes et je découvre que mes 2 chevilles sont gonflées, à ce moment-là je ne suis pas super confiant. Il me reste 700km jusqu’à l’arrivée. Je soigne comme je peux avec de l’eau froide, je mets mes jambes en l’air quelques minutes, je mange et je m’endors en espérant que ça aille mieux au réveil. Pendant la nuit je trempe presque tout le lit de transpiration, à chaque réveil je me décale car je suis trempé. Mon corps a surement besoin d’expulser des déchets ou de se décharger d’un excès de chaleur accumulé. J’ai dormi 4h pensant qu’une heure supplémentaire me serait bénéfique, ça va mieux mais c’est toujours gonflé…
Résumé : 300km – 15h (total 1879km – 120h)
8. Chapitre 8 : Les pires moments d’une expédition deviennent nos meilleurs souvenirs quand on parvient à les surmonter.
En 10 min je suis prêt à repartir, je sors du logement et je regagne la trace de la course à l’endroit où je l’avais laissée. Les premiers kilomètres sont faciles, j’arrive à Carcassonne au petit matin. Il me reste alors 115km pour arriver à la base de vie de Pézenas. Cette partie du parcours est plutôt agréable, les petites montées s’enchainent mais le vent de face est assez fort. Je croise à plusieurs reprises des groupes de cyclistes qui viennent échanger quelques mots. Certains connaissent la course, d’autres sont surpris quand je leur dis que j’ai 2000 km dans les jambes et que je suis parti de Lille. Il est midi et j’arrive à la base de vie, il fait chaud et la fatigue se fait sentir. Je dois simplement me changer, manger, recharger ma balise GPS qui n’a plus de batterie et refaire mes sacoches. Mais je suis au ralenti et je n’ai plus la notion du temps. Je m’arrêterai au total 1h15 environ. Beaucoup trop pour faire si peu... Mes chevilles ressemblent à des patates, je n’ose plus les regarder, ça m’angoisse à l’idée que cela pourrait vraiment devenir handicapant pour la suite.
Il me reste 200km pour arriver au pied du Mont Ventoux, j’ai une grosse partie de l’après-midi pour y arriver. J’estime que je pourrai y être vers 22h dans l’optique de m’arrêter à Malaucène pour démarrer le Ventoux au petit matin. La route est assez vallonnée et je commence à avoir vraiment mal dans le haut du dos, la position sur mon vélo est assez agressive et je ne tiens plus sur mes prolongateurs avec la tête relevée. Je reste les mains sur les cocottes ou sur le haut du guidon, dans toutes les descentes rapides, j’essaye de faire quelques étirements des muscles de la nuque et des trapèzes. Je sens qu’il va falloir que je mette en place toute une routine d’étirement dans les descentes si je veux aller au bout. Parfois je baisse la tête quelques secondes pour me soulager, c’est quelques secondes où je ne vois plus la route. Je fais cette routine uniquement lorsqu’il n’y a aucune voiture en face ni derrière et que la route est droite. Ces 200km seront marqués par ces différents mouvements pour me soulager. A ce moment-là je ne pense plus à mes chevilles, je les sens gonflées mais a priori ça n’empire pas. Je passe par des phases d’euphorie car je sens la fin arriver, je n’ai plus qu’une nuit à faire. Je doute aussi parfois, je ne sais pas si mon corps tiendra jusqu’à l’arrivée. Si ma tête tient bon je sais que mon corps tiendra, il plie mais ne rompt pas alors je reste au maximum dans une spirale positive et j’essaye d’éloigner les pensées négatives de ma tête : Acceptation, musique, podcast, imagerie mentale, respiration et autres techniques pour rester focus et dans le moment présent. J’arrive à Montfaucon à 21h avec le couché de soleil, je traverse le Rhône en direction de Sarrians puis Beaumes de Venise où je m’arrête quelques minutes dans un bar pour remplir mes bidons, boire un soda et manger ce qu’il me reste. Je pensais arriver plus tôt ici, je sais qu’un repas m’attend à l’hôtel et je n’ai pas pris le temps de m’arrêter faire le plein de provision. Sauf qu’il y a un col pour arriver à Malaucène : Le col de Suzette, long de 5km. Je sens que je suis à la limite car il est 23h, j’ai 375km dans les jambes et je commence à taper dans mes réserves physiques et mentales pour ce début de nuit. Je suis encore lucide mais la fatigue s’accentue rapidement. Il est minuit lorsque j’arrive à Malaucène, je repère l’hôtel sur mon téléphone, je prends les clés à l’accueil et je file dans ma chambre. Un repas m’attend : Poke Bowl, pizzas et 2 clafoutis. Incroyable, ça fait du bien de manger frais et surtout des fruits. Je garde 2 parts de pizzas pour le petit dej. Je prends une douche rapide, je m’allonge sur le lit les jambes en l’air. Je m’endors ainsi.
Résumé : 375km – 16h (total 2252km – 146h)
9. Chapitre 9 : Il n’y a pas de plaisir dans la facilité.
Il est 5h lorsque je remonte sur mon vélo, j’ai plié bagage en 5min et je suis prêt à attaquer le Mont Ventoux, le réveil était presque routinier, je me suis habitué à dormir peu. J’ai encore inondé le lit de transpiration. J’attaque direct dans la pente, je monte bien et à un rythme régulier, je m’arrête 2 fois prendre les parts de pizzas qu’il me reste, je sens qu’il me faut plus d’énergie pour aller au sommet.
Il est 7h30 lorsque j’arrive au-dessus, au niveau de la météo on ne peut pas faire mieux : Entre 15 et 20 degrés, soleil et pas de vent. J’y suis, au-dessus du dernier monument de cette Race Across.
J’ai un premier sentiment de réussite et de fierté, de reconnaissance envers mon corps qui lutte depuis mon premier réveil à Gueugnon sans jamais flancher. J’échange quelques mots avec des cyclistes qui sont là dont la femme d’un cycliste qui doit être quelques heures derrière moi. Je lui fais part de mes impressions sur la difficulté de cette course et la quantité d’énergie à investir pour réaliser cette aventure. Je m’habille et je bascule en direction de Sault, la prochaine base de vie, j’ai vraiment faim et je compte bien faire un petit dej la bas. Je mange comme 4 et je remplis mes poches de sandwich. Je discute avec des gars du 1000 km. Après un arrêt d’environ 30min je charge la dernière trace sur mon Garmin que j’avais renommée « the last push » : 270 km et 4200m de D+.
Il fait chaud sur cette dernière journée, ma priorité est detrouver régulièrement de l’eau pour éviter la surchauffe. Je m’arrête au supermarché de Montmeyan pour manger : Je prends un sandwich, des barres, sodas et je repars dans la fournaise. Aups marque le début de l’ascension jusqu’aux Gorges du Verdon, j’entends la climatisation dans les voitures qui me doublent. Oui, il fait 38 degrés dans cette montée assez peu abritée. Il y a un léger vent de dos qui n’est donc pas très rafraichissant. Je ne baisse pas le rythme, j’ai envie d’arriver au-dessus rapidement où il fera peut-être un peu plus frais. Je sens le soleil me brûler les mains et le mollet gauche, je mets de la crème solaire mais elle ne reste pas longtemps avec la transpiration. Je continue ma route et surtout je profite du paysage qui s’offre à moi, j’entame la descente.
A ce moment-là je sais que les derniers 100km seront plutôt profil descendant. Je reconnais la route, c’est celle que j’avais pris lors de la RAF 1000 l’an dernier, ça sent bon ! Ma vitesse commence à baisser, j’ai presque oublié de manger suffisamment avec la chaleur et je le ressens. Je fais un dernier arrêt dans un camion qui fait des sandwiches, sauf qu’à ce moment-là il ne reste plus rien. J’achète les dernières barres, quelques sneakers et Bounty et je reprends ma route, il doit me rester 80km mais j’ai déjà plus grand-chose à manger qui me fasse envie. Je suis à 40km de l’arrivée il est 21h, j’ai le genoux droit gonflé et j’ai parfois des grands pics de douleur qui m’obligent à m’arrêter ou lever le pied, au mieux. C’est interminable, je m’énerve tout seul car je sais qu’il me reste rien à faire sur le papier mais à ce moment-là j’ai l’impression d’être encore loin de l’arrivée. J’ai du mal à relativiser, m’écouter et prendre mon temps pour réfléchir aux solutions qui sont devant mes yeux. J’appelle Antoine qui est arrivé quelques heures avant moi pour lui demander comment est la fin du parcours car j’ai du mal à forcer sur les pédales. J’ouvre en même temps une boîte de sardine, la boîte SOS, en cas de coup de bambou. Je suis posé dans le fossé avec mes écouteurs et ma boîte de sardine, j’essaye de reprendre des forces et de me détacher de ces derniers KM, je me recentre. Arrive Quentin, un gars du 1000 avec qui j’avais échangé quelques mots à Sault, il me dit : « qu’est-ce que tu fous là ? ». Je lui dis alors que j’ai mal partout et que je suis dans un gros travers, je n’avance plus. J’ai une idée, c’est avec lui que je dois repartir, autrement je peux rester là 20min à ne rien faire. Je dis à Antoine que je redémarre, je tartine mon genou d’anti inflammatoire et je remonte sur mon vélo plus décidé que jamais. Le temps est super humide, je suis trempé, tout comme mes mains et mon téléphone posé sur ma potence, je ne peux même plus l’utiliser car le tactile ne fonctionne plus mais après tout je m’en fou. Je repars assez lentement, le temps de tester mon genou, ça a l’air de tenir, on discute de la course et de nos anecdotes. Je ne connais pas Quentin, pourtant j’ai l’impression que c’est un pote de longue date, la magie de l’ultra. Il me donnera un gel à 30 km de l’arrivée qui me fera grand bien ! J’ai l’impression d’avoir regagner en énergie ! On s’approche du Tanneron, le dernier col de cette aventure. Après plusieurs km à s’entraider et à s’encourager nous arrivons au pied du col, j’ai l’impression d’avoir terminé cette folle aventure, j’ai gravi le Puy Mary, le col d’Ahusquy, Marie Blanque, Spandelles, Tourmalet, Ventoux et Verdon, j’ai l’impression que cette montée est un pont d’autoroute mais c’est aussi une des plus belles. Au-dessus, nous voyons Mandelieu de nuit, c’est une image qui me restera dans la tête un long moment, je sais que j’ai réussi, même avec 2 tendons d’Achilles qui n’en peuvent plus et des trapèzes en béton. La descente est rapide, je suis impatient, je me trompe de route une fois, après chaque virage il faut freiner fort et tout mon corps se contracte. Je dois m’arrêter de pédaler quelques secondes pour faire quelques étirements express avant d’entamer un nouveau virage. J’arrive tout en bas, au dernier feu rouge, celui de la RAF 1000 je le reconnais, je suis euphorique. Il n’y a pas de voiture alors je passe, je suis trop pressé d’en finir. Je franchi la ligne d’arrivée le poing levé comme si je venais de gagner la plus belle course depuis mes débuts sur un vélo.
Je ne réalise encore pas je suis trop fatigué pour prendre du recul mais je sais que je viens de finir une course à laquelle je pense depuis 2 ans. Mon tour de France est fait, en 7 jours et 1h. Je suis accueilli par Antoine, Eloïse et Nico, ça fait du bien de revoir des personnes qu’on connaît surtout après une aventure de 7 jours. A ce moment-là je me sens vidé physiquement et mentalement, j’ai tout mis, avec les forces que j’avais, j’ai réussi et ça c’est super gratifiant. Les jours d’après seront une réadaptation à la vie « normale », le petit coup de blues après 7 jours intenses, les questions « on fait quoi après ? ». Ce que je sais c’est que l’aventure ne fait que de commencer.
Résumé :
2584 km
31 200m de D+
169h temps total
18e place
Grands remerciements à tous pour vos encouragements, je ne prends pas le temps de répondre mais c’est un grand coup de boost dans les moments durs. Mention spéciale à Fred et Gaëtan pour le support technique, Eloïse pour la technique Bowen à la BV de Pézenas, maman et Henri pour les encouragements dans le Tourmalet et Romain pour le petit bout de route dans une longue journée le dimanche.